Un jour noir à Petit-goâve

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Barricades, black-out, gaz lacrymogène, jets de pierres, pneus enflammés, tirs… C’est sous ce décor de tension que Petit-goâve débute le nouvel an. La population qui n’a pas revu l’électricité dépuis ce 2 janvier à 2h53mns am entre dans une colère bleue et se tient donc sur le sentier de la guerre. Pour les uns comme pour les autres, c’est la galère. Les temps forts de ce lundi 5 janvier 2015, marqué par de vives agitations.

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Très tôt dans la matinée, la ville est réveillée dans un branle-bas. D’un quartier à l’autre, on conspire. « Si on ne retablit pas l’électricité, on va bloquer la route ». La formule se propage. Solidarité dans le mal? Un mal nécessaire?

10h00 am
La route nationale #2, la seule voie terrestre qui relie les departements des Nippes, du Sud, de la Grand’Anse à la capitale du pays est déjà encombrée. Les chauffeurs qui traversent du nord au sud, du sud au nord cherchent à se degager à travers des artères, mais s’engluent dans le labyrinthe de la ville. C’est l’opération « mò rèd »! Les rues, les avenues, les routes, les chemins,  les ruelles, les impasses, les corridors sont tous obstrués. Devant les amas de pierres, les tessons de bouteilles, les pneus en flamme… les deux roues, quatres roues, 6 ou 12 roues n’y peuvent rien.

« Nou pa tande tigwav bloke, nou paka pa vwayaje », lance cette dame qui semble se sortir bien de cette situation. Tandis que dans les bus, les passagers sont en detresse. Ils le savent plutôt bien « moun tigwav pa jwe ». Et, dans un minibus coincé à l’avenue Lahatte, il y a aussi cette femme en douleur qui s’apprête à accoucher, elle doit se rendre à grand-goâve. « Aidez-nous à faire passer la voiture », implore sa mère à son chevet.

5h30 pm
Les agents de l’UDMO (Unité Départementale de Maintien d’Ordre) fraichement débarqués sur le terrain, pour tenter de rétablir l’ordre lancent des grenades de lacrymogène partout et contre tout. Et là, à l’avenue Lafond, deux bus voyageant des Cayes à Port-au-Prince qui se frayent un chemin, se perdent dans la fumée grise du gaz en propagation. Plus d’une soixantaine de passagers à bord de chaque bus tout gazés, angoissés, crient au secours. C’est aux résidents du quartier de leur venir en aide.

6h00 pm
L’hôpital Notre-Dame, le plus grand centre hospitalier de la ville, est plongée dans une obscurité monstre. « Gade yon Tigwav, katouch ap tire, pa gen doktè », crache cet homme, à peine arrivé avec sa femme enceinte de 2 mois. À la maternité, une infirmière, une seule, assiste une patiente sur le point d’accoucher dans la salle d’accouchement éclairée à la lumière d’un flash. Et un peu plus loin, il y a cette mère qui illumine son bébé, fraichement né, à la lueur de son telephone.  » Bon  menm yon dèlko yo paka pase anba fènwa sa! », déplore une dame de la soixantaine, quand plus tard, jusqu’à 6h56 pm, on allume enfin la géneratrice.

7h 53 pm
Route nationale # 2. Carrefour Béatrice et avenue Bouard. Pneus enflammés. Une cohorte de jeunes hommes se tiennent en embuscade contrôle de près le feu pétillant.  » Personne ne nous a rien dit concernant l’électricité ». À l’offensive, ils lancent des pierres contre toutevéhicule qui ose approcher. À la défensive, le visage cagoulé, ils se mettent aux aguets contre une éventuelle invasion des agents de l’UDMO.  À éteindre le feu, ils imposent leur condition: « fòk yo ba nou kouran an ak orè kouran an ».

8h00 pm
Avenue Gaston. Une troupe de personnes fourmillent. Au milieu, un jeune homme, une victime, attire la pitié ou la curiosité. Surpris en flagrance entrain de bloquer la route nationale, il est lâchement bastonné par les hommes forts de l’UDMO. Massage, bandage, compresse, on lui improvise une thérapie, le temps de lui faire la morale.

8h40 pm
Route nationale # 2. Marché Seradotte. Un tir, deux tirs, trois tirs… Les sbires de l’UDMO frappent encore, sans ménagement aucun, sous prétexte de rétablir l’ordre, dans une zone où la population se couche déjà au crépuscule, au fond d’un obscurité épaisse. En quelques minutes, l’odeur caustique du gaz lacrimogène chasse les habitants de leur chez-soi. C’est aussi le triste sort de cette mère qui hurle derrière une moto, transportant à vive allure son enfant en bas âge gazé, en syncope à l’hopital.

9h38 pm
Weh!!! On a rétabli l’électricité. Les maisons sont enfin eclairées, mais les rues sont suspectes et la population est réticente.  » Il nous faut maintenant l’horaire de l’électricité ». De près comme de loin, des tirs se font entendre. Sous cette atmosphère, Petit-goâve d’un oeil sommeille, d’un oeil surveille.

Photo: Mustapha Falestin

Obed Lamy
Étudiant en Communication Sociale et en Gestion des Affaires
lamyobed@gmail.com
Tel:509-37144337

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