Madan Sara: « Les femmes travaillent plus rudement que les hommes »

Dossiers/Journée internationale de la femme

Sous un soleil de plomb. Dans un chaos perpétuel de fatras, de fouillis. Imprégné d’une odeur nauséabonde de choux en décomposition. Mariette s’appuie vaguement contre une pile de sacs de pomme de terre, au beau milieu de ce tumulte de barvadage, de bruit, de rires, de cris. Un vieux mouchoir jetté sur sa tête. Le visage abattu, couvert de sueur, la vieille dame se plonge dans une réflexion sans dénouement. Jusqu’au moment où cet acheteur aborde sa marchandise et lui file un mauvais prix. L’air vexée, elle a dû avaler sa langue.

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Comme plusieurs, Mariette s’est initiée dans la vie de Madan Sara dès son plus jeune âge. Sans retenue, elle deballe son historique sous un tour impersonnel. « Quand on est élevé à la campagne, si on n’a pas des parents pour assurer ses besoins, on est obligé de se lancer très tôt dans une activité de commerce ».

À l’image de cet oiseau actif et bruyant dont elles tirent leur nom, les Madan Sara font le va-et-vient entre le marché rural et la capitale pour écouler en gros des denrées agricoles. Croix-des-bossales, l’un des plus grands centres d’achat du pays est le marché potentiel où elles déversent leurs produits. Ce choix est déterminé, entre autres, par ce calcul:  » Les consommateurs ne peuvent pas nécessairement se rendre en province pour s’approvisionner. Nous sommes donc obligées de leur transporter les provisions jusqu’ici ».

Du haut d’un camion, au gré du soleil, du vent, de la poussière et de la pluie, ces commerçantes entassées comme les sacs se livrent à un trajet pénible. Chistmène, à environs 8 mois de grossesse, voyageant de Forêt-des-pins à Port-au-prince (90km) tous les lundi et jeudi, raconte ses péripéties: « Les camions tombent parfois en panne pendant deux à trois jours. Nous passons alors la nuit dans les bois, trempées sous la pluie. Récemment, un camion a été renversé avec moi, tout étant en enceinte. Puisqu’il n’y a pas d’autobus dans le circuit, nous sommes donc obligées de monter le même camion qui transportent nos marchandisent ».  Et Jeannita qui conduit ses activités dans ce secteur depuis 36 ans se rappelle avoir connu 4 accidents de trajet.

Et Croix-des-Bossales, la galère se poursuit. Elles sont rançonnées, battues, violées, infectées. « Parfois, on vend  toute la marchandise, on ne rentre à la maison sans un sous », se plaint Mariette, « car les malfrats de la zone nous ont tout piqué », ajoute-elle d’un air dépité.

Souvent traitées comme des parias, mises au ban de la société, les Madan Sara sont pourtant le socle sur lequel se repose une partie de l’économie nationale et l’ascension sociale . Et Mariette le reconnait bien:  » Les femmes travaillent plus rudement que les hommes. Nous transportons des sacs assez lourds. Nous passons toute la nuit sur le dos d’un camion. Nous sommes donc utiles au pays, parce que nous nous nous occupons nous-mêmes et nous nous occupons de nos enfants ». Et avec ses enfants qui terminent aujourd’hui leurs études classiques à la capitale, Jeannita se donne satisfecit de voir murir le fruit de ses efforts.

« Komès sara se bouske lavi, detwi lavi », admet-elle. Contre péril,  infortune, et humiliation,  les Madan Sara d’Haïti sont le symbole de force, courage et d’espoir.

Texte: Obed Lamy
Photo: http://www.cordaid.org

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